Atelier de traduction : Gary, traduit par Róbert Bognár

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COMPTE-RENDU

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La promesse de l’aube de Romain Gary

Séance animée par le traducteur Róbert Bognár

Au CIEF, le 27 mars 2012

 

À cinq heures, la salle est remplie. Heureusement, elle n’est pas comble, car de nouveaux intéressés arrivent, à pas précipités, juste pour faire plaisir davantage à Róbert Bognár qui se trouve en face d’étudiants, de professeurs, de collègues, tous attirés par son atelier de traduction.

Avant tout, M. Bognár souligne le rôle de la bonne chance concernant la parution imminente du roman La promesse de l’aube de Romain Gary. C’est un miracle, dit-il, de faire publier un livre français en Hongrie. La traduction paraîtra chez  les éditions Park en automne.

Nous devons être très reconnaissants à M. Bognár puisque on a bien besoin de changer la situation actuelle : un auteur qui, avec ses deux prix Goncourt, a atteint l’impossible, mériterait plus d’attention. Romain Gary, auteur de chefs-d’œuvre comme Les racines du ciel et La Vie devant soi, ce dernier publié sous le pseudonyme Émile Ajar, est  une figure éminente de la littérature française.

Tout époustouflant que soit son parcours, M. Bognár ne se contente pas de présenter la carrière littéraire de l’auteur. Premièrement, il nous parle de la frontière étroite et, pour Gary, facilement franchissable, entre réalité et mensonge, en nous expliquant comment fonctionnent les trois vérités dans l’univers romanesque de l’auteur  :  celle des faits, celle des mœurs, et enfin, celle de l’art. Il ajoute que dans le cas de Gary, toutes ces observations se clarifient quand on contemple l’ensemble de ses romans qui ne forment, en réalité,  qu’un seul  ouvrage immense dans lequel on peut associer tout et son contraire aux évenements de la vie de l’auteur.

Pour que nous sachions de quelle vie il s’agit, M. Bognár retrace les données les plus importantes. Il relate la relation étroite entre fils et mère, caractérisée par un extrême dévouement et des exigences sévères de la part de cette dernière. Et voilà l’image qui se dresse devant nous, un jeune homme polonais, idolâtré par sa mère, une actrice très belle mais célibataire ; nous comprenons que la carrière exceptionnelle de l’auteur – il ne s’agit pas seulement d’un écrivain, mais aussi d’un diplomate et d’un navigateur – est due à la reconnaissance envers cette femme.

Le tarducteur n’a pas épargné au public les détails plus sombres non plus. M. Bognár nous raconte le déclin de cette vie mouvementée, les complications avec les pseudonymes, les problèmes familiaux, l’aspiration à la reconnaissance et la jalousie qui mènent, enfin, à son suicide. M. Bognár nous mentionne ses dernières notes, censées être une explication sur le motif de son acte : « Car on ne saurait mieux dire, je me suis enfin exprimé entièrement ».

 

Cinq minutes de repos, et nous attaquons l’extrait, après une lecture à haute voix par un participant français. Apparemment, les étudiants sont plus courageux que les fois précédentes, plusieurs ont préparé leur propre traduction ; pourtant, ils sont encore intimidés devant le public averti. Avec le temps, le travail devient de plus en plus dynamique.

Les premiers problèmes relèvent de l’ordre des mots en hongrois. M. Bognár précise que le plus important, c’est de bien structurer nos phrases, un défi qui est plus difficile qu’il ne semble. Il souligne que le mythe de l’ordre des mots libre de la phrase hongroise est contestable, car, bien que nous puissions organiser nos propos de différentes façons, on obtient des significations différentes, en fonction de l’ordre choisi. Voilà ce qu’il définit comme « un ordre de mots fixe qui est en même temps très dynamique ». Ce qui est important, c’est que l’expression qui fournit la nouvelle information doit précéder les autres.   

Nous trouvons quelques mots qui sont particulièrement difficiles à traiter. M. Bognár met en évidence la problématique de l’expression « douce » dont on ne peut pas éviter de restreindre le sens en la traduisant en hongrois. Une autre question concerne l’équivalent hongrois du prénom « Valentine », M. Bognár défend l’idée qu’il faut le traduire également, à la manière polonaise.

Il propose encore deux méthodes à suivre aux étudiants. Il explique qu’il faut essayer de retrouver l’expression la plus proche de la version française, et, s’il en existe une et qu’elle couvre approximativement le sens original, il recommande de l’utiliser. C’est le cas de l’expression « je fus (..) aspiré par une passion violente (...) » ; on peut choisir sans problème la forme verbale « beszippantott ». Plus tard, il souligne l’importance de la maîtrise du ton qui règne dans le texte. Ici, c’est l’ironie, la désuétude, et le goût pour le paradoxe qu’il faut rendre lors de la traduction.

 

Avant qu’on puisse s’en apercevoir, le temps s’écoule. Péter Ádám a encore quelques minutes pour poser des questions sur quelques passages particulièrement délicats ; plusieurs interviennent, tous pressés d’ajouter quelques remarques concernant telle ou telle expression. Des applaudissements bien mérités retentissent, puis, peu à peu, la salle se vide. Pourtant, en pensée, on s’attarde sur le sujet – c’est là que  le travail individuel commence, en partant des nouvelles informations acquises lors de cette excellente soirée.

Vanda Éva Makó