Résultats du concours d'écriture du CIEF 2012

Le Jury, composé de

Cécile Fisteberg, Attachée de coopération linguistique et éducative à l’Ambassade de France en Hongrie,
Vilmos Bárdosi, Directeur du Département de français à l’Université ELTE et
Dávid Szabó, Directeur du Centre Interuniversitaire d’Études Françaises,
ont le plaisir de vous annoncer les résultats du 1er concours d'écriture du CIEF !


Les gagnants des 7 prix reçoivent chacun un livre de Philippe Carrese dédicacé, les autres une affiche offerte en cadeau.

Merci à tous les participants, et rendez-vous l'année prochaine !


1.     Prix du meilleur écrivain : Kun Enikő / Le jardin des délices

 Habileté dans l’art d’écrire, audace, qualité du style. Capacité à créer une fiction et une scène de polar.

 

2.     Prix de la meilleure intrigue : Balogh Emese / Dernier dossier

 Divertir le lecteur et projeter un monde fictif ou réaliste. Situations qui mettent à l’épreuve le personnage. L’art de préparer, de nouer et de dénouer l’intrigue.

 

3.     Prix du meilleur héros  : Molnár Beáta / La mission

 Scène couronnée par la cohérence du personnage avec l’intrigue, sa capacité à vaincre les difficultés et résoudre les problèmes (péripéties). Caractère du personnage : original, émotif, combatif...

 

4.     Prix de l’originalité : Tilhof Anna / Glacer le sang

 Capacité à créer : extravagance, particularité, nouveauté, fantaisie et singularité. Détails qui différencient l’œuvre des autres.

 

5.     Prix du frisson  : Nagy Marianna / Point de rupture

 Scène se distinguant par sa capacité à créer du suspens et une atmosphère caractéristique d’un roman policier. Juger l’auteur quant à sa virtuosité de jeu avec un événement inattendu, brusque, angoissant.

 

6.     Prix de la création : Cseh Noémi / L'attentat

 Capacité de construction littéraire : forme, organisation, et structure logique du texte ; rythme et expression.

 

7.     Prix de la langue française : Zoltán Jean Levaux / Le mystère de mon enfance et de mon adolescence entre Komló et Liège

 L’auteur devra faire preuve d’une bonne orthographe et d’une bonne syntaxe : expressions, jeux de mots, phrases courtes, ponctuation et dialogue.


Voici le texte de Kun Enikő, prix du meilleur écrivain

LE JARDIN DES DÉLICES. Chapitre V

 

L’aube approche. Le soleil jette un éclat sur les champs de maïs, comme le signe de l’espoir. Nous avons survécu à la nuit, c’est déjà pas mal. Quand même, nous paraissons incapables de bouger. Nous nous cachons sur la terre froide et trop dure, sous la protection de ces plantes immenses. Nous sommes blessés, mais nous sommes encore vivants. N’oublions pas ça.

 

Les minutes passent. Ou les heures, nous ne savons plus. Un silence trop long, même effrayant. Il faut que nous partions, il est dangereux de rester immobile. Les yeux perdus au loin, Hélène ne bat plus des paupières. Peut-être le choc… en tout cas, tout ce qui s’est passé a peut-être été trop dur pour elle. Ma petite sœur, elle a dix-sept ans à peine, juste une enfant. Simon scrute son visage aussi. C'est un bon mec. Sans lui… deux Français au milieu du paysage américain… n’y pense pas. Nous avons eu de la chance. Nous avons Simon. Je me demande pourquoi il nous a sauvés… Finalement, ce n’était pas son affaire. Hélène est ma responsabilité, il n’a rien à faire avec elle. Sauf…

 

Le silence est rompu par un bruit étrange pas loin de nous. En tournant la tête, nous cherchons la source. Hélène se met à pleurer, les larmes de ses grands yeux opales ruissèlent sur ses joues. Je la serre dans mes bras. L’une de mes mains étreint cet être innocent et ruiné, l’autre cherche le Colt 45 que j’ai acheté en arrivant aux Etats-Unis. « La terre de la liberté », comme c’est grotesque. Pas de limite, je le vois maintenant. Je dois jouer de la même façon alors. Ce pistolet, je dois l’utiliser mieux cette fois. Pas d’hésitation. Juste des bêtes. Des monstres.

 

Simon me fait signe, il faut que nous partions tout de suite. Mais je veux la vengeance. Simon ne peut pas le comprendre. Je dois les pulvériser. Nous entendons des pas. Ils s’approchent. Comme je suis fou, courir, c’est notre seule possibilité. Je tiens ma sœur dans mes bras, Simon nous montre le chemin. Comme un soldat, il traverse le champ extrêmement vite, sans faire un seul bruit léger. Un barman du Jardin de délices, comment cela peut-il être réel ? … Rien que le nom de cet endroit terrible… aucune idée de pourquoi Hélène nous a quitté… son foyer, sa famille. Aller dans le Minnesota, en secret, toute seule ? Etre forcée de travailler dans un bar si dangereux et délabré ? Les propriétaires si … non, pas de mots pour ceux-là. Quelle idiote ! Qu’a-t-elle pensé ?

 

Ils ont perdu notre trace. Simon avait raison. Je nous aurais faire tuer en un instant… eh bien, ça doit être de famille, après tout, on est frère et sœur, Hélène et moi. On atteint une route, Simon l’observe pour quelques minutes et tourne résolument à droite. Peut-être que quelqu’un vient et nous amène jusqu’à l’aéroport. Simon ne semble pas si optimiste. Il est de plus en plus stressé. Je pourrais lui dire de nous laisser seuls… il a fait déjà plus que je ne serais jamais capable de lui rendre. Non, je ne peux pas. Nous avons besoin de lui. D’ailleurs, il n’a plus d’emploi, ils le chercheraient sans cesse. Il faut qu’il vienne avec nous alors. Je pense qu’il le sait aussi. J’aimerais lui dire quelque chose, le remercier. J’ai la gorge sèche. On marche sans rien dire.

 

Nous tenons Hélène chacun d’un côté. Après avoir été utilisée et jetée comme une boîte d’allumette, son corps est marqué par les signes des viols qu’elle a subis, elle est incapable de marcher sans aide. Nous essayons de contempler le paysage pour oublier tout ce qu’on est incapable de changer. Aussi loin que porte la vue, les labyrinthes de champs s’étendent n’en laissant qu’une route étroite entre eux. Cette route si longue, sans fin ni début ne nous rend certainement plus heureux. Au moins, ce n’est pas la chaleur de l’Arizona… trouve le bon côté… malgré la situation, l’image était fascinante : les rayons du soleil du matin scintillent sur les feuilles couvertes de rosée, comme les milliers de petits diamants.

 

Hélène se met à tousser, elle doit être épuisée. Elle a besoin d’eau, de toute urgence. Bien sûr, je n’ai pas pensé à ça, hier, quand je me suis « préparé ». Simon montre du doigt un resto un peu plus loin. J’hésite. Trop dangereux. Par ailleurs… nous avons faim et très soif. Nous avons besoin d’énergie pour continuer cette fuite impossible. La fortune sourit aux audacieux. Il entre dans le resto pour le vérifier, nous attendons dehors, lieu sûr. Il rentre. La voie est libre. Nous entrons. Pas Le Meurice, c’est sûr. Nous cherchons un box, pas à l’entrée, mais en face des miroirs pour guetter la route. Vigilance. La serveuse dans sa mini-jupe vient prendre la commande. Blasée, veille, obèse. J’ai presque perdu mon appétit. Peu importe. Cheeseburger with fries. Quoi d’autre ici. Et café, évidemment. Nous regardons les autres. Des fermiers, hommes de la rue avec leurs problèmes banals : la récolte, le prix de l’essence, la politique d’Obama. Une femme va vers le jukebox, elle choisit Johnny Cash. « … It burns, burns, burns, the ring of fire, the ring of fire… » Le Patron a le sens de l’humour, certainement. Hélène met la tête sur la nappe à carreaux, elle s’endort. Nous n’avons pas de temps pour nous reposer plus longtemps. Juste cinq minutes encore, elle dort si paisiblement.

 

Un Dodge Nitro noir apparait sur la route, il soulève largement la poussière. Brusquement, il recule devant le resto. Les fusils dans les mains, ils sortent de la voiture. Nous devons nous glisser vers une sortie. Simon va vite, mais sans se faire remarquer, vers la cuisine. Nous le suivons ; nous les guettons par la fenêtre. Ils entrent, regardent autour d’eux. Ils commencent à se renseigner sur nous. L’un trouve notre table. Non ! Le sac d’Hélène est encore sur le divan en similicuir. Nous sommes perdus ! Ils se mettent à crier, à nous menacer de tuer les autres. Je mets les mains sur les oreilles d’Hélène. Une femme les supplie. Nous ne bougons pas. Le maigre appuie sur la gâchette.

 

Silence. Un silence à glacer le sang. Un bruit léger étrange. Comme si on frottait une… Il faut que nous partions. Par la porte d’entrée.

 

Nos yeux piquent. Malgré le vacarme de l’incendie qui embrase maintenant les rideaux jusqu’au plafond, nous entendons un autre coup de feu. Les hublots de la double porte en velours que nous allions franchir explosent sous les impacts de chevrotine. Les débris giclent. Nous ne pouvons plus revenir en arrière. C'est le moment. Nous ne pouvons pas laisser les autres mourir à notre place. C’est notre affaire. Je serre ma sœur pour la dernière fois près de moi en lui chuchotant de fuir quand je lui ferai signe. Nous jetons un coup d’œil, Simon et moi. Il est prêt. A tuer ? A mourir ? Peu importe. Je lève la main. Un… Deux… Trois…