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Anna MARCZISOVSZKY, De l’art lazaréen. Une (re)définition possible de la littérature de l’après-guerre > 95

Introduction

Quand on parle des récits nés après la guerre et inspirés – explicitement ou
non – de l’expérience de l’holocauste, plusieurs questions théoriques se posent
d’emblée. « Récits de déportation », « littérature concentrationnaire »,
« littérature de l’holocauste » : la confusion de dénomination a déterminé pour
des décennies les débats improductifs sur la « littérarité » de ces textes et sur
leur « appartenance » (ou non) à la littérature, ce qui démontre d’ailleurs un
certain embarras vis-à-vis de ces récits. Comme si, en parallèle avec les débats
historiques sur le caractère « unique » de l’holocauste (s’agissait-il d’un
déraillement dans l’évolution de l’humanité et de l’histoire, ou au contraire,
était-ce une apogée de cette évolution et de l’ère de la raison ?), la littérature
imitait ce même questionnement.
Ainsi, le premier essai de la part de Jean Cayrol, ancien déporté, de
(re)définir l’art et la littérature « nés » du concentrationnat sous l’enseigne de
la figure emblématique de Lazare (de la Bible) montre la nécessité de
reformuler la légitimité de la littérature et de lui retrouver sa place dans
l’immédiate après-guerre ainsi que sa continuité historico-littéraire. Dans ce
travail, je tenterai de montrer les caractéristiques essentielles de cet « art
lazaréen » qui, en faisant du rescapé des camps concentrationnaires le Lazare
moderne, est un témoignage d’une expérience de l’« au-delà », donc
intransmissible par excellence, et présente notre monde comme un monde à
jamais hanté par ce Lazare moderne.
La définition cayrolienne permet non seulement d’examiner les récits de la
littérature concentrationnaire sous un nouvel aspect, mais donne également une
réponse alternative aux questionnements sur le rôle et la légitimité de la
littérature française des années 50, au centre desquels se formulait une question
fondamentale : qu’est-ce que la littérature ? À part cette définition
« alternative », l’art lazaréen, avec ses caractéristiques bien définies, trouvera
plus tard ses « successeurs », entre autres parmi les auteurs du nouveau roman.
Aussi saugrenue que cette filiation puisse paraître, Barthes lui-même démontre
que toutes les techniques littéraires du nouveau roman se trouvent déjà dans
l’ensemble de l’oeuvre de Cayrol.
Ainsi, avant d’examiner l’art lazaréen, il me sera nécessaire de donner un
bref aperçu des tendances littéraires de l’immédiate après-guerre, et surtout
d’évoquer les débats (avec des figures emblématiques comme Sartre et
Blanchot), pour finir par l’interprétation de Barthes.

 

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