Éva KUSHNER

Éva KUSHNER, Pontus de Tyard dans le contexte de la révolution scientifique > 211

 

L ’oeuvre de Pontus de Tyard (1521-1605) est multiple: il fut à tour de rôle poète, philosophe, et sinon théologien du moins auteur d’écrits religieux significatifs. Nous aborderons ici le prosateur plutôt que le poète, sans toutefois négliger la continuité de sa réflexion sur l’être et sur le monde, qui traverse tous les genres pratiqués par lui.

D’autres poètes de la génération de Tyard, y compris Ronsard et Du Bellay, inventent (ou réinventent) à qui mieux mieux des genres et des thèmes sur toute la gamme allant du ludique et même du graveleux au grave. Ainsi, Ronsard descend de l’empyrée des Amours platonisants et pétrarquisants de 1552-53 pour se délasser, ou délasser son lecteur, par ses truculentes Folastries. Les dates de ses Hymnes (1555-56) où il aborde les grands problèmes de la nature, du cosmos, de l’éternité – presque toujours, il est vrai, à travers des fictions mythologiques répondant à une exigence de beauté autant que de savoir – sont aussi les dates de la Continuation des Amours, ces Amours de Marie dont la veine légère et le style «bas» ne sont pas sans tenir compte de la traduction récente du pseudo-Anacréon par Henri Estienne. Quant à Du Bellay, impossible de ne pas reconnaître dans l’aspect bernesque des Regretz, alors même que le but en est profondément moral, un côté rieur. Tyard, lui, ne se livre que rarement au jeu poétique. En fait, au moment même (1555 et 1556 ) où Ronsard mène de front la Continuation et les Hymnes, Tyard donne parallèlement la troisième livraison des Erreurs amoureuses et deux de ses dialogues philosophiques, le Solitaire second (1555) et le Discours du tems, de l’an et de ses parties (1556). Sans chercher à distinguer en quelques mots les préoccupations respectives des deux poètes on pourrait dire que Tyard (à la différence de Ronsard) ne se départit d’une vision platonicienne et intégrative de l’amour comme raison d’être universelle que pour se lancer, dans ses dialogues, à la recherche de quelques grands principes fondamentaux du savoir humain. C’est précisément alors que son platonisme commence à se modifier sinon à s’effriter: il se sent interpellé par la temporalité humaine (Discours du tems) et surtout, astronome lui-même à ses heures, par les grandes interrogations astronomiques qui sous-tendent le Premier curieux.

Dans ses travaux sur la révolution copernicienne et plus largement sur la révolution scientifique, Thomas Kuhn insiste sur le caractère évolutif, pluriel, complexe de ces changements dans l’épistémè. Ce qui nous intéresse ici, c’est d’observer et d’analyser le rapport entre ce phénomène et le mode dialogique d’argumentation employé par Tyard, mode qui met en oeuvre et en jeu l’affrontement de visions divergentes de la structure de l’univers, dans la période d’émergence de l’hypothèse copernicienne et de toutes ses séquelles scientifiques, philosophiques et théologiques. Les dialogues de Tyard, et plus particulièrement le Premier curieux, paraissent incarner le débat que Tyard lui-même a dû vivre en son for intérieur, projeté en différents personnages qui défendent, mais avec des nuances, et sans fixité aucune, les prises de position attendues d’eux. L’émergence de la révolution scientifique se trouve ainsi mise en scène...

 

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