Ildikó LŐRINSZKY

Ildikó LŐRINSZKY, Romans du désir, désir du roman : l’interférence des projets flaubertiens de Madame Bovary à Salammbô > 279

 

1. Salammbô, la mal connue

Dans la série imposante des études récentes publiée par la critique flaubertienne, Salammbô apparaît comme une oeuvre peu fréquentée: à part quelques articles, les publications concernant le roman sont rares et, malheureusement, on ne dispose toujours pas de véritable édition critique du texte. Il faudrait sans doute s’interroger sur les raisons de cette curieuse marginalisation dont Salammbô est victime. Celle-ci peut s’expliquer, en partie, par l’étrangeté marquante de l’oeuvre qui dépasse constamment le cadre généralement fixé pour l’analyse. Depuis sa parution en 1862, le roman a été souvent confronté à des normes auxquelles il ne pouvait correspondre. Ces analyses faites souvent d’après des schémas préconçus et, surtout, difficilement applicables au roman, semblent altérer la véritable portée du texte: ainsi Salammbô sera-t-elle réduite à une reconstruction archéologique inauthentique, ou dénoncée comme un roman historique manqué. La plupart des comptes rendus contemporains et plusieurs études modernes témoignent d’ailleurs de la même hésitation quant à la définition du genre: comparée tantôt à l’épopée, tantôt à l’opéra, tantôt à un poème parnassien, qualifiée de «poème épique», de «roman-poème», voire même d’«imagination scientifique», Salammbô reste l’inconnue, l’étrangère fascinante et provoquante.

Il s’agit, certes, d’un texte difficile à aborder et qu’aucune analyse ne pourra jamais dénuer de son caractère énigmatique. Cependant, cet effet quelque peu déroutant que produit le roman semble correspondre à l’intention originelle de Flaubert: ses formules destinées à mettre en évidence l’insolite de Salammbô restent peu explicites et gardent souvent une certaine opacité.

Pour mesurer dans toute son ampleur l’importance peut-être méconnue de ce texte dans le développement de l’esthétique flaubertienne, il faudrait préciser la place de Salammbô dans l’ensemble de l’oeuvre. Deuxième roman publié par l’auteur, projet réalisé après de longues années d’apprentissage, Salammbô constitue une sorte de pont entre les écrits de jeunesse et les oeuvres de la maturité. Par son sujet, il peut être rattaché aux premières tentatives littéraires de Flaubert adolescent, alors imprégné de romantisme. Il se présente en même temps comme un texte préparé de longue date, constituant une sorte de synthèse entre plusieurs idées d’oeuvres restées à l’état de projet. Par sa technique, Salammbô est destinée à répondre au nouveau défi que le romancier s’est fixé: après l’expérience de Madame Bovary, il s’agit de faire un roman moderne à l’antique, de procéder à une espèce de transposition qui se conformerait à sa nouvelle conception du roman.

 

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