Imre SZABICS

Imre SZABICS, Pseudonymes poétiques dans la lyrique troubadouresque : les senhals > 115

 

A vant d’analyser les pseudonymes poétiques (les senhals) dans la lyrique des troubadours, il convient de faire quelques remarques théoriques concernant les particularités de la pensée linguistique au Moyen Âge. Pour mieux comprendre la sémantisation et les fonctions associatives ou connotatives des noms propres figurant dans les oeuvres littéraires du Moyen Âge, il ne faut pas perdre de vue l’aspect symbolique et allégorique de la mentalité médiévale. Cela signifie en raccourci que la pensée des gens médiévaux se caractérisait par une manière de voir pour ainsi dire double suivant laquelle ils regardaient les choses et les phénomènes de la réalité non seulement en eux-mêmes, mais ils les considéraient aussi comme porteurs de quelque signification cachée ou symbolique. L’idée du sens profond des choses ordinaires a tellement envahi la mentalité médiévale que – comme l’écrit J. Huizinga dans Le Déclin du Moyen Âge – «Le moyen âge n’a jamais oublié que toute chose serait absurde si sa signification se bornait à sa fonction immédiate et à sa phénoménalité, et qu’au contraire, par son essence, toute chose tendait vers l’au-delà. [...] C’est là le fond psychologique sur lequel croît le symbolisme [...]. La conviction que tout y a une signification transcendante cherchera à se formuler. [...] L’univers se déploie comme un vaste ensemble de symboles, se dresse comme une cathédrale d’idées. C’est la conception du monde la plus richement rythmique.» Ainsi donc, les gens lettrés, les poètes et les penseurs du Moyen Âge étaient d’avis que les paroles de l’Écriture Sainte tout comme les mots de la poésie profane avaient également plusieurs sens: un premier sens ordinaire, accessible pour les gens simples, «non initiés», et un sens caché et transcendant pour les «initiés» (pour les gens lettrés, capables de saisir le sens profond des objets ou des phénomènes du monde). Et ce sont les symboles et allégories qui étaient destinés à rendre accessible et compréhensible le sens caché et plus profond des choses pour la pensée quotidienne.

L’esprit symbolique et allégorique, systématisé par la scolastique, attribuait un rôle particulièrement important aux étymologies, aux significations cachées des mots et des noms. Le sens opaque et «magique» supposé des noms, et en particulier des noms propres, a éveillé tout naturellement le goût des savants du Moyen Âge pour les étymologies. En continuant les procédés exégétiques des Pères de l’Église, Isidore de Séville non seulement cherchait à démontrer le sens caché des paroles de l’Écriture dans son oeuvre capitale Etymologiarum sive Originum libri, mais il croyait retrouver l’essence des choses dans les noms – dans les «étimologies» – en s’appuyant sur le Cratyle de Platon, selon lequel la nature des choses et des êtres déterminent a priori les noms qui les désignent.

 

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