Marie Madeleine FRAGONARD

Marie Madeleine FRAGONARD, Du Bellay : Les Antiquitez de Rome : Nécromancie et désir du temps > 143

 

«La dissolution dans le temps produit le même effet /que l’exil dans l’espace/: la surexistence d’une ville par un identique et exclusif attachement à son passé (dans lequel l’écrivain se retrouve lui-même alors que l’homme cultivé retrouve les racines de sa culture).[...] L’écrivain s’éloigne pour mieux voir; Rome a basculé au néant, donc est mieux vue, l’invisible et l’interrompu étant beaucoup plus riches de sens que le visible ou le continu»

Gérard LABROT, L’image de Rome, une arme pour la Contre-Réforme, Champvallon, 1987, p. 327

L ’expérience concrète qu’effectue du Bellay confronte une espérance fantasmée à une réalité d’autant plus décevante qu’elle est lue à travers cette espérance fantasmée. Il n’y a pas de Rome «réelle» qui déçoive, mais une attente sans récompense. Ce qui pour un lettré constitue le référent du nom «Rome» est un ensemble géographique ambigu (extensible de la ville à l’Empire) et chronologiquement unique (de la fondation à la chute). Dans les deux cas ce n’est pas l’ infini: espaces et temps sont mesurables; mais dans les deux cas, ils représentent ce que la conscience occidentale contient de plus durable et de plus grand. Et ceci est mort, nul n’en doute. On ne s’attend pas à rencontrer au coin de la rue de vrais Césars ni le Capitole intact. Mais d’une certaine façon on s’ attend à rencontrer des traces de ce qui a disparu, un signe authentique de l’existence enfuie.

Le rapport du visiteur avec Rome est globalement semblable à celui qu’il entretient avec un portrait, une image, un vestige, et surtout une relique, dans la plénitude d’acception du terme: ce qui reste et ce qui est consacré comme reste d’un disparu.

En bonne sémiotique ancienne, le vestige est la trace laissée par une présence, par ex. la trace du passage d’un animal, qui permet d’inférer par ce qu’on voit (l’empreinte d’un pied) ce qu’on ne voit pas (l’individu qui a marché là auparavant). Le vestige atteste l’existence de l’individu sans rien retenir de sa réalité charnelle. Fragment (et donc matériellement sans prestige ni ressemblance), la relique par contre témoigne de l’intégralité d’un corps, en remémore la réalité; mais surtout dans l’occident chrétien où les reliques sont l’objet de la vénération des fidèles, la relique restaure pour celui qui a la foi la présence totale d’un être: aussi miraculeuse que cet être, la relique est un support généralement laid et fragile, détenteur des pouvoirs immenses d’un saint.

 

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