Suzanne ALLEN

Suzanne ALLEN, De quelques poncifs sur le néant > 53

 

Il arrive souvent que le mot «Néant», pour grandiloquent qu’il se veuille, soit trahi en son concept par la portée connotative du contexte qui en entretient subrepticement la faille, méat dans le mot. Ouvrant à la feinte possible. Ainsi quand Rimbaud, dans la Saison en enfer fait, mine de rien, voisiner les deux sémantèmes: «Allons feignons, fainéantons, ô pitié! Et nous existerons en nous amusant, en rêvant amours monstres et univers fantastiques, en nous plaignant et en querellant les apparences du monde, saltimbanque, mendiant, artiste, bandit, prêtre!»

Il ne s’agit pas là d’investir «le Maître» ou «le Mage», comme chez Mallarmé promu «Prince des poètes» de l’âge mûr, mais d’évoquer le jeune poète vagabond chez qui la «fainéantise» ne peut que favoriser l’exercice de la feinte ou de l’esquive – encore que ce «faire-néant» ne soit pas le «ne rien faire» qu’il affecte de vouloir dire, il subsume un faire-semblant qui échappe à la grande querelle des apparences et du «réel» par le «déréglement de tous les sens», qui viennent le polémyser, ou simplement par le voyage, le départ des «anciens parapets», qui néantise la feinte elle-même par un plus radical dérobement.

Le faire-néant de Mallarmé est d’une feinte plus subtile: tout en nous faisant croire à l’ambition du «Livre total», son travail littéraire a surtout vocation de fragment, et s’éparpille en essais critiques, portraits, correspondances, étude sur Les mots anglais, toast à banquets, adresses, chroniques de mode, dédicaces, menus et autres vers de circonstances, pour accompagner l’envoi d’un panier de fruits ou l’envol d’un éventail. Petits vers qu’il voudrait rassembler en Album sous sa signature, ornée, à partir de 1878, du paraphe «poesque», en hommage à Edgar Poe dont il est le traducteur admiratif. Il ne dédaigne pas non plus les articles de journaux, dits Premiers-Paris, dont il écrit qu’ils sont la forme contemporaine du poème, et il ajoute: «On a le tort critique dans les salles de rédaction d’y voir un genre à part.» Sans doute se donne-t-il aussi le beau rôle d’assumer, quand, malgré le bluff grandiose du «Livre total», il vient dans La Musique et les lettres, avaliser le «dépassement des genres» – ce qui désamorce le procès fait par ailleurs au journalisme et à «l’éternel reportage».

 

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