Alain GIRARD

Alain GIRARD, Lecture de L’Ecclésiastique de Mallarmé > 221

 

De tous les poèmes en prose de Mallarmé, le moins commenté est certainement cette étrange onzième pièce d’« Anecdotes ou Poëmes » : « L’Ecclésiastique ». Ce silence n’est pas fortuit. « L’Ecclésiastique » en effet met en scène une activité qu’une critique pudibonde a préféré taire ou n’évoquer que de façon dissimulée : la masturbation, ou « sombre agitation basse » à laquelle se livre le personnage-titre dans la fausse privauté printanière du bois de Boulogne (lignes 8 & 9). Ainsi Henri Mondor, dans sa grande biographie de Mallarmé, ne rappelle ce texte que pour énigmatiquement le qualifier de « page d’irrésistible comique », au début d’un chapitre traitant de la danse. Plus près de nous, dans un article pourtant consacré à « La poétique de l’érotisme mallarméen », Anne-Marie Amiot se contente de citer les deux premières phrases du texte pour illustrer la relation toujours étroite, dans l’esthétique mallarméenne, entre la problématique de la Nature et celle de la rêverie poétique. Il n’y a guère que Jean-Pierre Richard et Jean-Luc Steinmetz pour qui ce poème en prose ne fasse pas les frais d’un tel embarras. Le premier évoque « l’étrange scène érotique » dans laquelle s’inscrit ce « curé amoureusement vautré dans l’herbe » ; le second « un ecclésiastique [...] mis en humeur par la belle saison », le terme de « pratique masturbatoire » n’apparaissant – nous y reviendrons – que dans la mesure où il peut aussi être entendu dans un sens figuré.

Il est vrai que Mallarmé lui-même semble toujours avoir fait preuve de réticences vis-à-vis d’un texte qu’il ne fit d’abord paraître qu’à l’étranger, dans le numéro 49 de la Gazzetta letteraria, artistica e scientifica du 4 décembre 1886. La publication d’un inédit constituait pour Mallarmé une façon de saluer l’entreprise du directeur de cette revue turinoise, Vittorio Pica, qui lui avait consacré un long article. Plusieurs mois auparavant, à Gustave Kahn qui s’enquérait peut-être de ce texte pour sa revue La Vogue, le fonctionnaire de l’Instruction publique Mallarmé confiait néanmoins : « Quand à ce que publie Pica, il n’y a qu’un morceau de prose d’inédit et par malheur je ne puis l’imprimer ici, comme universitaire : « L’Ecclésiastique », vous voyez tout de suite pourquoi ». Il faut attendre le numéro d’avril 1888 de La Revue Indépendante, qui constitue encore à cette époque le bastion principal des amis de Mallarmé, pour que le poète le fasse reparaître sous le titre « Actualité : Printemps au bois de Boulogne », s’abstenant néanmoins de toute parution ultérieure en revue. Quant aux publications en recueils, il semble que Mallarmé prit soin de soustraire « L’Ecclésiastique » de cette version bon marché de ses oeuvres que fut l’Album de Vers et de Prose de 1887 et 1887-1888, pour en revanche le faire figurer dans Pages, Vers et Prose. Morceaux choisis et enfin Divagations. Cette relative discrétion contraste avec les fréquentes parutions dont bénéficièrent généralement les autres poèmes en prose, « L’Ecclésiastique » apparaissant de ce fait – il faudrait ici en convenir – comme une pièce de second ordre au regard de ces textes.

 

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