Tivadar PALÁGYI

Tivadar PALÁGYI, Mélange de niveaux de style dans la poésie mallarméenne > 217

 

Je tenterai dans ma communication de situer Mallarmé dans une continuité de mélange de tons qui va de Réponse à un acte d’accusation de Victor Hugo aux Fenêtres ou au Sonneur de cloches. On connaît le plaidoyer fougueux de Hugo pour une libération des registres de la langue poétique : « Le mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes » ; « Plus de mot sénateur, plus de mot roturier » ; « Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ? » ; « Je fis fraterniser la vache et la génisse ». En ce début de XIXe siècle, la surprise stylistique, l’écart est obtenu grâce à l’abaissement brusque du ton par l’introduction de mots considérés comme vulgaires ou en tout cas peu poétiques. Cependant, grâce à Gautier et à Banville, l’inverse devient également fréquent, c’est-à-dire que par l’abandon des clichés romantiques et par la primauté de la poésie pittoresque, les poèmes sont de plus en plus dominés par un style voulument simple et ironique, fortement prosaïque où la déviation par rapport au contexte stylistique est désormais constitué par l’introduction du sublime, par une élévation inattendue du ton. Un exemple caractéristique en est la fin de l’Albertus de Gautier (CXX, p. 185 dans l’édition Gallimard) lors de la description de la réunion infernale qui aura pour conséquence la mort du héros :

Le Diable éternua. – Pour un nez fashionable

L’odeur de l’assemblée était insoutenable.

[Et le lendemain, les paysans]

Sur la voie Appia trouvèrent un corps d’homme

Les reins cassés, le col tordu.

Au délire nocturne décrit sur un ton humoristique (éternuement, l’anglicisme fashionable en position de rime, avec une rime « catégorielle » mais ludiquement bilingue) succède le drame du matin, présenté avec une objectivité sèche où la rime fait défaut. Gautier quitte brusquement sa « pleine ironie ». Le phénomène peut être mis en parallèle avec la blague supérieure de Flaubert qui s’efforce de contenir ses épanchements lyriques. On sait que le jeune Mallarmé était en butte aux mêmes tiraillements entre son penchant lyrique et la rigueur de son idéal artistique. C’est justement Théodore de Banville qui lui « apporte une sorte de justification de ce penchant au lyrisme contre lequel il lutte ». Paul Bénichou note « l’extrême variété des tons mallarméens : du pathétique de la solitude et du néant à la célébration des choses légères [...] de la plus haute amertume à la nostalgie et au sourire, du désespoir à l’humour, et même à des retours vers ces réalités de la nature et de l’amour « autrement plus attrayantes » que leur signalisation symbolique ». Pour preuve le nombre impressionnant de vers de circonstances et autres loisirs de la poste qui prennent dans l’édition de la Pléiade deux fois plus de place que les Poésies.

 

Pour lire la suite de cet article veuillez consulter le pdf ci-dessous.

PDF download: