Thomas GERGELY

Thomas GERGELY, De Salomon à Citroën... > 81

 

Nous entretenons avec les noms que nous portons des rapports parfois très ambigus. Comme la plupart des membres de notre famille, nous ne les choisissons pas, et pourtant, bon gré, mal gré, il nous faut les aimer, sinon les souffrir, jusqu’à la consommation de nos jours. Ordinairement, cette relation au nom est purement affective et subjective. Telle femme qui subirait comme une disgrâce de s’appeler Jeanne ou Martine trouverait délicieux de répondre aux doux noms de Barbe ou de Cunégonde. Et à l’inverse. C’est question de goût, de mode, et, surtout, de « carte de visite » de notre personnalité, voulue à nos propres yeux, aussi avenante que possible. Certes, il vaut mieux, quand on remplit une fonction d’autorité, s’appeler Cumont que Mon..., mais le cas est plutôt rare et plaisant. Bien plus graves sont les situations où le nom – prénom et nom de famille – devient difficile à assumer parce que, ipso facto, il situe négativement son propriétaire dans l’esprit de populations pas toujours favorablement disposées à l’endroit de minorités. À cet égard, les multiples modifications que les Juifs, parfois contraints et forcés, ont fait subir à leurs noms – et bien souvent en vain – afin de mieux s’intégrer dans leurs patries d’élection sont exemplaires et méritent d’être rappelées, fût-ce dans les grandes lignes.

On peut distinguer dans l’histoire de la formation des noms juifs plusieurs périodes distinctes. La première, qui correspond, en gros, aux temps bibliques, est celle de la plupart des créations. Alors naissent des noms comme Adam, Ève, Abel, Abraham ; Isaac, Jacob, Léa, Rachel, Rebecca, Aaron, Moise, David, Samson, Salomon, avec des sens pas toujours très clairs. Plus tard, sous les Rois, apparaissent des noms composés, souvent théophores, c’est-à-dire incluant le nom divin, tels que Jo-Nathan, Jo-saphat, Ari-el, Ezeki-el, Mikha-el, etc. Ce fonds s’enrichira peu à peu jusqu’à l’époque du second Temple, puis les Juifs se contenteront d’y puiser, en complétant leur nom par l’adjonction de celui de leur père. Ce qui donnera les Johanan ben Zakkaď, les Eliezer ben Azariah, etc. La méthode connaît une certaine reviviscence dans l’État d’Israël où l’on rencontre désormais des Bar-Lev, des Ben-gourion comme noms de famille. Mais le Moyen-Âge a vu se répandre d’autres procédés de nomination, dont les noms de provenance du type Mizrahi « d’Orient », Bension « fils de Sion », les noms de fonctions communautaires tels que Dayan « juge », Parnes « président », Kahn « Cohen, prêtre », Hazan « chantre », etc., ou encore des noms évoquant des circonstances particulières comme Sabbetaď « né le Sabbat ». Cependant, le grand tournant dans l’évolution des noms des Juifs se situe à la fin du XVIIIe siècle, et coïncide avec leur émancipation. Ce fut Joseph II qui, en 1784, obligea les Juifs d’Autriche et, en 1787, ceux de Galicie, à se choisir un nom de famille, un nom qui ne fût point biblique. En France, l’ordre d’abandonner les noms traditionnels vint de Napoléon (1803 à 1808). La Prusse, la Bavière, la Saxe suivirent progressivement entre 1812 et 1852.

 

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