Vilmos BÁRDOSI

Vilmos BÁRDOSI, De l’usage à l’usure > 57

 

« L’usage hésite. » Voici exactement 30 ans que j’ai entendu prononcer pour la première fois cette phrase devenue bientôt presque proverbiale parmi les étudiants qu’émerveillaient les cours de phonétique ou de morphosyntaxe de Mme Kelemen à l’Université Eötvös Loránd. Son charme, son éloquence, son fervent amour de la langue et de la grammaire françaises nous ont tous tôt ou tard séduits et ont éveillé en nous une sympathie éternelle pour la langue du grammairien Jacques Dubois (1531) dont elle nous parlait à son premier cours d’introduction et dont nous n’avions bien sûr jamais entendu parler auparavant. Au-delà de cet amour au départ peut-être instinctif, nous espérions tous en notre for intérieur parvenir, grâce à son enseignement, à cet état particulier que décrivait si sensiblement l’écrivain Dezső Kosztolányi : 

Aki tudja a francia nyelvtant, nemcsak okosabb lesz általa, hanem becsületesebb is. Ez a nyelv mind értelmi, mind erkölcsi tekintetben tisztít. Nem enged hazudni. Franciául is lehet színészkedni, talán formásabban is, mint más nyelveken, de hazudni, csalni, vagyis többnek, tartalmasabbnak, eredetibbnek mutatkozni, mint amilyenek vagyunk, nem lehet. Itt a turpisság azonnal kiderül. Próbálunk lefordítani franciára holmi fontoskodó bölcseletet, holmi embermegváltó szélhámosságot, holmi nagyképű ürességet. Lehetetlen. Nyomban szemünkbe szökken, hogy mekkora butaság. Ilyesminek annyira ellenáll nyelvük nemes közege, hogy nem is veszi magába. Ami barbár, lapos, szellemtelen, az – amint ők mondják – „nincs franciául”. Náluk a nyelvtan, stilisztika és erkölcstan egy.

Par la formule « l’usage hésite », Mme Kelemen a donc voulu nous apprendre que, dans le système d’une langue, il y a bien entendu la norme si chère à la grammaire française depuis le XVIIe siècle, mais aussi l’usage qui, bien que quelquefois hésitant voire même capricieux, est quand même capable de s’imposer et même de devenir à l’occasion norme dans l’esprit des Remarques de Vaugelas (1647) qu’elle nous citait également. Vaugelas aurait d’ailleurs dit sur son lit de mort – nous racontait-elle – : « Je m’en vais ou je m’en vas, car l’un et l’autre se dit ou se disent. »

J’ai souvent repensé à cet enseignement durant mes 30 années de carrière de linguiste, carrière sur laquelle j’ai été lancé et constamment encouragé par les soins attentifs de Jolán Kelemen. Et j’y repense encore aujourd’hui quand, pour la remercier et lui rendre hommage, je prends comme point de départ de ma réflexion la notion d’usage, plus exactement une des conséquences naturelles et inévitables de l’usage dans le domaine des phrasèmes, de la phraséologie et de l’idiomatique, à savoir l’usure.

 

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