Bernard CERQUIGLINI

Bernard CERQUIGLINI, Faut-il défendre la langue française ? > 25

 

Je voudrais traiter un peu plus rapidement que par une seule réponse négative la question : faut-il défendre la langue française ? Nous sommes tous d’accord : elle n’a pas besoin d’être défendue car elle n’est pas attaquée. Il convient de l’illustrer, de la promouvoir, d’aider à son développement, à son progrès pour que ceux qui la parlent s’y sentent mieux ; il faut aussi la rendre désirable pour que ceux qui ne la parlent pas aient envie de l’apprendre.

Il y a de grandes langues internationales dans le monde, l’anglais en est une. Nous souhaitons que le français ait sa place dans un monde plurilingue, pluriculturel pour que l’on ait des rapports différents à la culture, à l’univers et à notre avenir. Donc, ce que nous souhaitons, c’est qu’on se sente mieux quand on parle la langue française et on ait le désir de l’apprendre. Il faut donc cultiver un désir de la langue et ce désir est bien cultivé ici, quand on visite cet admirable institut.

Alors, faut-il défendre la langue française ? La réponse est non. Et pourtant, il y a une abondante littérature de la catastrophe et du déclin. Certaines personnes en vivent même, de cette mort du français. Quand on feuillette la presse francophone et qu’on s’intéresse aux nombreuses chroniques de langage – c’est un des genres littéraires francophones les plus prisés, tous les journaux ont leur courriers des lecteurs ou chroniques – on entend partout un cri. Quand on regarde l’étalage des libraires, on voit aussi de nombreux livres qui développent toujours la même alarme, la même angoisse : le français est perdu, il est fichu, on ne le parle plus, il est contaminé par l’anglais, il est en pleine décadence. Déparé de fautes, perclus de barbarismes, il est enfoncé par la langue anglaise. Ce cri que l’on lit partout est très réconfortant.

D’une part, il témoigne d’un intérêt pour la langue. Si tant d’écrivains prennent leur plume pour dire que le français est perdu, c’est qu’ils aiment le français. Si tant de lecteurs achètent ce livre, c’est qu’eux aussi, ils s’intéressent à cette langue. En effet, c’est une des préoccupations majeures des francophones : se préoccuper de l’état de la langue, de savoir si ce qu’on vient de dire est français. Un des paradoxes des francophones, c’est qu’ils prononcent une phrase et tout de suite après : « Oh, ce que je viens de dire est-il français ? » Oui, parce qu’ils l’ont dit.

Il y a donc une sorte de passion française – pour reprendre un terme célèbre. Je dirais plutôt que les francophones ont une religion : la langue. Cette religion est monothéiste, elle vénère un seul dieu : le dictionnaire. Il n’est pas de déjeuner familial dominical qui ne se termine par une querelle linguistique. Ce que l’oncle vient de dire, est-il français, ce que le petit neveu a écrit, est-il en bonne orthographe… Et dans ce cas-là, fâché, tout rouge, on se lève et on va voir LE dictionnaire. Même dans les plus pauvres familles, il y a sur la cheminée un vieux petit Larousse qui est le dieu de la langue incarné et présent sur le tabernacle.

 

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