LITTÉRATURE

Gérard BAYO, Le corbillard d’Arthur Rimbaud > 99


Maints commentateurs de l’oeuvre rimbaldienne ont constaté, après Verlaine, Izambard ou Delahaye, la parfaite connaissance qu’avait Arthur Rimbaud de sa langue. Dans nos précédents essais1 nous avons nous-mêmes souligné le recours constant par le poète aux dictionnaires les plus divers : Littré, Bescherelle, Furetière ou de l’Académie française, des synonymes et homonymes, d’étymologie, des symboles, de botanique, d’argot, d’anglais, de latin… « Si les termes de la langue nationale sont insuffisants, j’ai les langues anciennes, les langues étrangères modernes » (propos rapporté par E. Delahaye, Revue d’Ardenne et d’Argonne). Nous avons également pu constater à quel point il sait allier à sa maîtrise de la langue française, la connaissance des symboles et celle de la Bible.

Notre langue, comme toute langue sans doute, par le mécanisme des définitions de mots, est à croissance exponentielle. Elle fonctionne à la manière d’une arborescence, comme la multiplication cellulaire, ou comme le om (aum) de l’Inde, le son primordial qui se déploie en manifestation.

Ce nom eut un équivalent chrétien au Moyen Âge qu’on pourrait traduire par « alpha et oméga ». En hébreu, parole et action sont si étroitement unies que le terme dâbar signifie aussi bien parole que chose. Parole et acte trouvent même origine dans ce dâbar. Or il semble bien, d’une part, que paroles et actions aient toujours revêtu chez Rimbaud une égale importance, d’autre part, que celui-ci ait exploité le phénomène du déploiement du son (et de la voyelle ou du mot) comme nul avant lui. « Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant » (lettre du 15 mai 1871).

« …les écritures ne sont plus pour le chrétien un livre qu’il déchiffre page par page, elles sont le livre totalement déployé, toutes les pages embrassées d’un seul regard et livrant leur mystère, le Christ, Alpha et Oméga, commencement et fin de toute écriture » (Xavier Léon-Dufour, Vocabulaire de théologie biblique, Éd. du Cerf, Paris, 1981). Ces choses, nous les savons. En tout cas, nous les avons lues. Des siècles avant notre ère, le Rig-Véda

n’évoque-t-il pas la « prosopopée de la parole » ? Mais qui s’est avisé d’y croire au point d’en tirer les plus étonnantes conséquences ? Arthur Rimbaud a cru à la possibilité d’éclosion du verbe humain. Avec précision et logique, il a mis en oeuvre ce déploiement, long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Avec la candeur et la rigueur d’un enfant. Afin que ses amis deviennent voyants de la manière dont lui et le dictionnaire ou la Bible l’entendent.

 

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