Tivadar GORILOVICS

Tivadar GORILOVICS, Les moments poétiques de Jean-Richard Bloch > 109

 

La littérature est pauvre chose, étant réduite à utiliser, comme matière première, les mots dont les hommes se servent chaque jour. De sorte que tous les hommes ont des droits sur la littérature. Ils ne s’en reconnaissent ni sur la sculpture ni sur la musique, l’art du verrier, du potier. Mais la littérature, c’est leur domaine. Ils y sont compétents. Ils en font, à leurs moments perdus. Qui n’écrit un roman ? Ceux qui n’en écrivent pas, c’est qu’ils n’ont pas le temps, ou bien qu’ils trouvent ça vraiment trop facile.

Il en résulte deux choses. La première est qu’une seule espèce d’oeuvre littéraire est assurée d’échapper à la vulgarisation, c’est la poésie, c’est le mètre, le rythme, en ce qu’ils ont de secret, de mystérieux, de divin. Un beau vers creuse une empreinte ineffaçable dans la mémoire des hommes. Une nation entière vit de quelques beaux vers.

...La seconde de ces conséquences, c’est que l’écrivain, s’il n’est pas un poète pur, passe sa vie à fuir cette contamination, cet envahissement de l’usage commun.

Cet hommage rendu à la poésie dans l’Explication qui introduisait, en 1930, Offrande à la musique de Jean-Richard Bloch, n’est pas le fait d’une illumination tardive, mais la reconnaissance à la fois d’une dette et peut-être d’un regret, certes passager, d’avoir manqué une destinée de « poète pur ». Mais cet hommage ne vient pas non plus d’un écrivain qui n’aurait jamais mis la main à la pâte en tant que poète. Il se trouve qu’il avait publié un certain nombre de poèmes, notamment dans Europe et la Nouvelle Revue Française, sans parler de ceux qui attendaient un meilleur sort au fond d’un tiroir, parmi d’autres manuscrits. Si bien qu’au moment même où il a publié en volume des oeuvres « nées sous le signe de la musique », il pensait déjà à rassembler les matériaux d’une Offrande à la poésie.

Avant la publication de cette Offrande, réalisée soixante-dix ans plus tard2, il y avait eu certes deux tentatives de rappeler que Jean-Richard Bloch était aussi poète à ses heures. Les plus belles pages de Jean-Richard Bloch (La Bibliothèque Française, 1948), présentées par Aragon, un an après la disparition de l’écrivain, contenaient aussi quelques poèmes. Le numéro spécial d’Europe, de mars-avril 1957, donnait à son tour « quelques poèmes », une dizaine en tout, plus une traduction de Brecht. On pouvait y lire en plus le premier article exclusivement consacré au poète, dû à Paul Jamati qui faisait observer d’entrée de jeu :

Il suffit d’avoir lu un livre de Jean-Richard Bloch pour savoir qu’il y a un poète dans ce prosateur. Même si ce livre n’est pas la Nuit Kurde. Qu’il s’agisse d’un documentaire comme Locomotives, d’un recueil d’essais comme Destin du Siècle, d’un roman réaliste comme... et Compagnie, la poésie affirme partout sa présence.

 

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