GÉRARD JACQUIN

Gérard JACQUIN, Les démonstratifs dans les Lais de Marie de France > 137

 

L’emploi des paradigmes « cist » et « cil » reste assez largement fondé dans les Lais sur une opposition sémantique mais nous assistons aussi à un précoce développement de l’opposition syntaxique entre déterminant et pronom, tant du point de vue du choix de l’un ou l’autre de ces paradigmes que du point de vue du choix du cas régime, direct ou indirect. Mais avant d’étudier cette question, nous procéderons à quelques brèves remarques morphologiques et nous examinerons l’emploi du pronom neutre « ceo ».

Les formes du texte édité par Karl Warnke sont le plus souvent identiques aux formes de l’ancien français commun, avec ou sans i initial (sur le modèle de « cil » / « icil »). Nous relevons seulement les formes « cels » / « icels » pour « ceus » / « iceus », dans lesquelles la vocalisation du [l] devant [s] n’est pas notée, et d’autre part la forme « ceo », typiquement anglo-normande, pour « ce ».

Pour ce pronom neutre, nous remarquons les traits de fonctionnement habituels. Il peut être sujet, attribut ou régime, par exemple dans :

ceo est uns mals ki lunges tient (Guigemar, 485) ;

ceo dient tuit par la maisun (Bisclavret, 207) ;

mes ceo n’ateint a nul espleit (Eliduc, 171).

On note qu’avec le verbe estre, dans le tour « ceo » est ou « c’ » est suivi d’un pronom personnel, l’accord du verbe se fait, comme c’est l’usage en ancien français, avec le pronom personnel, non avec « ceo » ou « c’ » : « estes vus ceo ? » (Guigemar, 817). Il peut aussi s’employer comme régime prépositionnel : « par ceo » (ex. : Prologue, 26) ; « pur ceo » (ex. : Guigemar, 12) ; « de ceo » (ex. : Guigemar, 187). Et ainsi il entre dans la composition de locutions conjonctives : « pur ceo qu(e) » (ex. : Guigemar, 478) ; « senz ceo qu(e) » (ex. : Le Frêne, 64) ; « de ceo qu(e) » (ex. : Le Frêne, 368). Il apparaît également dans des tours qui se sont figés : « ceo puet estre » ou « estre ceo puet » (Eliduc, 593) : peut-être ; « ceo n’i a mie » (Eliduc, 924) : pas question ! ; « ceo qu’il poeit » (Eliduc, 848) : autant qu’il pouvait, ou dans des propositions incises : « ceo dit » : dit-il (ou elle) ; « ceo quit » (Guigemar, 665 ; Eliduc, 999) : je pense. Nous remarquons enfin que « ceo » s’élide peu souvent devant voyelle, nous relevons, en effet, onze cas d’élision seulement pour vingt-neuf emplois devant voyelle.

Parmi les autres formes de démonstratifs, notons deux emplois du neutre « cel », très rare en ancien français commun, encore apparaissent-ils ici dans une formule figée où ils se substituent à « ceo » : « puet cel estre » (Eliduc, 170 et 432). Mais ce qui est beaucoup plus important et significatif, comme nous le verrons ensuite, les formes de cas régime indirect masculin « cestui » et féminin « cesti » n’apparaissent jamais et celi n’apparaît que deux fois (Le Frêne, 512 et Eliduc, 836) tandis que le masculin « celui » est d’un emploi très fréquent. Nous en venons donc à l’étude des seuls paradigmes « cist » et « cil », pour commencer leur opposition sémantique traditionnelle.

 

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