Gergely ANGYALOSI

Gergely ANGYALOSI, « Déjà dit, déjà vécu par Proust. » La notion du pluriel et la question de l’originalité chez Roland Barthes > 15


En 1979, Roland Barthes s’est expliqué sur sa relation avec Proust dans une émission de France Culture. « Je crois qu’il y a un moment où on n’a plus envie d’écrire sur Proust mais on a envie d’écrire comme Proust. Non pas pour se comparer à lui, ça serait bien prétentieux, voyez-vous. Proust c’est un écrivain, je dirais... ou moi... il n’est pas question de se comparer à lui si on écrit. Mais il est parfaitement question et il est parfaitement légitime de s’identifier à lui. On ne se compare pas à lui, mais on s’identifie à lui. Il a un pouvoir d’identification très grand. Par conséquent, on pourrait très bien concevoir d’accepter, par exemple, de réécrire quelque chose qui ressemblerait à La recherche du temps perdu, parce que au fond, maintenant nous sommes dans une civilisation de néomanie où on favorise énormément l’originalité ; mais il y a eu des civilisations où on acceptait d’écrire ce qu’on appelait des imitations. On pourrait très bien concevoir de réécrire La recherche du temps perdu ; au fond La recherche c’est comme une sorte de mythe moderne, ça a un peu la valeur d’OEdipe, par exemple. On peut le réécrire plusieurs fois, à mon avis ; enfin on verra... Disons que c’est un rêve, mais un rêve très nourrissant qui fait très plaisir et qui peut justement alimenter une sorte d’énergie de travail. Peu importe l’échec, au fond. » Grâce à ses notes posthumes, publiées sous le titre Vita Nova (sic), nous connaissons même le principe de construction de ce roman rêvé. Ce serait le Roman romantique ou le Roman absolu de Novalis, désigné par le terme grec « poikilosz » ; d’après Barthes, ce mot veut dire : « bariolé, tacheté, moucheté... le Rapsodique, le cousu (Proust : OEuvre comme faite par une couturière) ». Il s’agirait donc d’une sorte d’écriture qui, suivant la suggestion de Novalis, « embrasserait toute les espèces de styles dans une succession diversement liée à l’esprit commun », puisque « l’art du roman exclut toute continuité ». Comment est-ce que Barthes, ce théoricien par excellence, a pu en arriver là ? Ce dessein contredit non seulement son statut de « critique » ou de « sémiologue » mais aussi l’opposition célèbre introduit par lui-même dans S/Z, à savoir celle du « lisible » et du « scriptible ». Comme on le sait, il appelle lisibles les oeuvres dont le mode d’écriture est impossible à reprendre aujourd’hui, tandis que le terme scriptible est strictement réservé au « textualisme » néo-avant-garde. Dans la suite je vais parler de l’héritage barthésien, de la survivance spirituelle de Barthes, du point de vue de cette double question du pluriel et de l’originalité. Mais pour voir clairement la nature de cette problématique, il faut faire appel au tournant des années cinquante et soixante, et parcourir les changements de la conception barthésienne de la littérature – au moins dans ses grands traits.

 

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