Anne-Rachel HERMETET, Ambitions universalistes et « esprit français » dans le mouvement de renouveau spirituel (1910–1919) > 85
En 1912, Riby évoque dans une lettre à Lotte, le projet de leur ami commun, Charles Péguy, qui se propose d’écrire son Ève, et conclut :
[…] Dante c’est un docteur, c’est un scholastique et puis enfin ce n’est pas un Français. Son Paradis n’est pas le même que le nôtre.1
Si cette affirmation prête à sourire par son outrance, elle invite aussi à la réflexion par ce qu’elle suppose de repli sur soi et de gallocentrisme. Elle conduit ainsi à s’interroger sur ce qu’on entend par l’« esprit français », terme récurrent du discours sur la France, qu’il soit national ou étranger. La notion renvoie à une construction de l’imaginaire, fondée sur certaines valeurs, sur une représentation de l’identité française et elle assume clairement une fonction idéologique, mais aussi symbolique, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. C’est en effet au nom de cette « certaine idée de la France » que les Français revendiquent une place (et une place éminente) dans le monde. Le début du XXe siècle fournit un cadre privilégié pour cette étude de l’auto-représentation nationale car il voit s’affronter deux images de la France : l’une se réfère à la Révolution de 1789 et aux idéaux qu’elle a affirmés : liberté, égalité, fraternité, mais aussi croyance dans le progrès et culte de la raison ; l’autre s’appuie sur des valeurs d’Ancien Régime, qu’elle revendique comme telles et se proclame rurale, catholique, nationaliste. C’est dire qu’il n’y a pas définition unique de l’esprit français mais concurrence entre deux systèmes de représentation.
Dans le cadre de la problématique de ce colloque, j’examinerai le second, dans la mesure où c’est en lui que se reconnaissent la grande majorité des auteurs, penseurs, intellectuels catholiques au début du siècle, dans le contexte particulier que constitue en France la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905.
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