Ève-Marie KALLEN

Ève-Marie KALLEN, La rencontre manquée : Endre Ady et André Gide > 113

 

Endre Ady et André Gide ne se sont jamais rencontrés en personne, quoiqu’il y en ait eu la possibilité entre les années 1904-1911 à Paris. On peut très bien s’imaginer une telle rencontre, et un génie comme Jorge Luis Borges aurait été capable d’en faire une de ses fascinantes histoires de réalisme magique. Ils étaient nommés du même prénom et nés à la même date, le 22 novembre, mais à une distance temporelle de huit ans. Ady a connu les oeuvres de Gide, mais Gide n’avait pas d’idée d’Ady. Dans cette petite indication, on voit déjà d’une part la déclivité culturelle entre centre et périphérie, mais d’autre part aussi une certaine arrogante ignorance du côté du centre qui ne peut – ou ne veut pas – s’imaginer que la province pourrait, elle aussi, produire de vrais et valables génies.

Dans la revue Nyugat du 1er février 1910, Endre Ady publie un essai sur La Porte étroite d’André Gide, roman qui parut en France en 1909, c’est-à-dire seulement quelques mois avant. Ady écrit : Ce livre est sorti de la rencontre de Gide avec Nietzsche. Rencontre décisive. Certes, un esprit ne reçoit d’un autre esprit que ce qu’il possédait déjà. Le nietzschéisme de Gide était en Gide avant que celui-ci ait lu une ligne de Nietzsche. Il était dans le souci de se faire soi-même sa religion, sa morale, qui possède tous les protestants quand ils réfléchissent sur eux-mêmes. Mais la lecture du philosophe allemand n’en fut pas moins, pour l’auteur des Nourritures que le coup de fouet nécessaire. C’est là qu’il trouve la formule de certaines idées flottantes en lui et de certains sentiments innés : l’horreur du repos, du confort, de tout ce qui propose une diminution de la vie. C’est Nietzsche qui lui permet de transporter sur le plan intellectuel ce besoin du voyage qui était dans sa sensibilité ; c’est Nietzsche, enfin, qui lui impose la formule de cette vérité : que chacun possède sa loi et son dieu, la loi commune n’étant qu’une question de police.

 

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