Anikó ÁDÁM, Traduire l’indicible, ou la poétique de l’ineffable dans la littérature fantastique > 73
Le traducteur flotte entre deux univers, fait passer des mentalités, des
visions d'une communauté à l'autre, d'une culture à l'autre. D'une part, il
représente un certain danger pour les communautés et les cultures en question
qui, pour survivre, sont contraintes de résister à l'uniformisation et à la
mondialisation. Le traducteur menace une culture plus où moins fermée dans la
mesure où il interprète et il transfère à sa manière des symboles, des allusions,
des affections, des références, bref des contenus et des formes partagés par une
seule communauté ; il les décode, les transforme pour que les informations de
toute nature de la culture source puissent être reçues et comprises par la culture
cible.
D'autre part, le traducteur accomplit une heureuse mission épistémologique
et sociale quant à l'ouverture et la compréhension mutuelle entre des cultures
différentes. Ainsi contribue-t-il à la réalisation d'un monde tolérant et paisible
et il doit en assumer la responsabilité.
Le présent article propose de questionner des textes fantastiques français
(notamment ceux de Maupassant) – écrits à un moment précis de l’histoire de la
littérature européenne, au XIXe siècle, et traduits en hongrois par plusieurs
auteurs – pour trouver une réponse sur la possibilité de traduire la poétique de
l’ineffable.
Georges Mounin, il y a quarante ans déjà, a tenté d'esquisser une théorie de
la traduction partant des théories linguistiques de son époque, et a cherché à
prouver « pourquoi et comment, et surtout dans quelle mesure et dans quelles
limites, l'opération pratique des traducteurs est […] relativement possible ».
Le fait que les langues s'articulent autour de visions du monde différentes et
que les civilisations sont en partie impénétrables, appelle à penser que tout
effort pour transmettre ces visions et ces mentalités serait impossible. Notre
théoricien résout ce dilemme en révélant la théorie des universaux et en
l'élargissant vers le domaine de l'ethnographie. Sa conclusion nous démontre
que le traducteur qui ne s'est pas fait aussi l'ethnographe de la communauté dont
il traduit la langue, est un traducteur incomplet étant donné que l'accès aux
significations véhiculées par une langue n'est possible qu'à travers la
connaissance des phénomènes culturels localisés dont les mots sont les
symboles. Comme nous l’enseigne Claude Lévy-Strauss, la société occidentale
était la seule à avoir produit des ethnographes, et nous pouvons ajouter : des
traducteurs.
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