Ágnes HORVÁTH

Ágnes HORVÁTH, Le cercle vicieux de Proust > 189

 

On est accoutumé à commencer à lire un livre tout fait. L'écrivain a écrit son histoire, qui est du passé, et le lecteur se met à la lire. Cela vaut également pour le roman épistolaire – bien qu'ici, apparemment, l'écriture du roman et l'événement raconté soient, dans le temps, très proches l'un de l'autre ou même coïncidents. L'ancêtre du roman moderne, le Tristam Shandy de Sterne qui traverse en diagonale les champs temporels ou les ignore tout simplement, ne fait pas exception. Mais qu'en est-il de Proust ? On commence à lire la Recherche, et on ne se rend compte qu'à la fin que le Narrateur, une fois rentré de la Matinée des Guermantes, ne fait que commencer son livre, et qu'il l'ait terminé, la preuve en est cette oeuvre de sept tomes qu'on vient de lire. Voilà le premier cercle, où passé et futur s'épousent, d'une façon fascinante, mais avec l'exclusion du présent.

On commence à lire le livre avant qu'il n'ait été écrit. Proust se met à l'écrire quand le lecteur arrive à sa fin. On se met à la recherche du temps perdu, et au moment de le retrouver, on tient un livre dans la main. Mais lors d'une deuxième lecture et malgré tout ce savoir, ce cercle ne s'en répète pas moins. On ne commence pas sa lecture, on y entre comme dans un bâtiment. Le commencement et la fin se jettent l'un dans l'autre, tout comme les deux « côtés », le côté de Swann et le côté des Guermantes, incarnée, cette union, dans la personne de Gilberte, dans la réalité du roman, ainsi que dans le Narrateur même, car c'est lui qui la vit, qui l'enregistre et qui ranime le passé par le souffle de sa mémoire : la maison de Combray, de par sa situation géographique, vient relier les deux côtés, mais le Narrateur lui-même parcourt ces deux chemins : sa propre vie est mise en marche et vécue sous le signe de ces deux itinéraires, le but de sa vie (les rêves du Narrateur sur Swann, ses souvenirs, ses amours pour Gilberte, puis pour la duchesse de Guermantes).

 

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