Romain PIANA

Romain PIANA, Corps et voix du music-hall chez Koffi Kwahulé > 153

L’écriture de Koffi Kwahulé, dès l’origine, entretient, on le sait, un rapport matriciel
avec le jazz, source d’inspiration directe ou analogique fondamentale et fondatrice ;
l’auteur y revient longuement dans ses entretiens avec Gilles Mouëllic, qui a, avec
d’autres chercheurs comme Virginie Soubrier, analysé les implications de ce dialogue
fécond et ininterrompu. Dans ce contexte d’une musicalité improvisée constitutive de
l’écrit, la présence d’éléments légèrement décalés par rapport au modèle du musicien de
jazz ou du jazzband ne manque pas d’interroger : les textes de Kwahulé font
fréquemment référence à la musique classique, mais également parfois à un type de
spectacle musical particulier, le music-hall. C’est particulièrement le cas dans deux
pièces publiées respectivement en 2003 et 2006, Le Masque boiteux et Brasserie, où la
thématique et l’imaginaire de ce qu’on appelle, de manière générique et un peu abusive,
le cabaret, jouent une place notable, voire centrale. Or ces deux textes, malgré de très
fortes différences formelles et de tonalité, présentent quelques analogies : il s’agit tout
d’abord, pour reprendre le sous-titre du Masque boiteux, d’« histoires de soldats ».
Histoires inspirées directement de faits historiques dans ce premier texte – celle des
tirailleurs sénégalais enrôlés dans la défense de la France lors de la Seconde Guerre
mondiale ; histoire horrifique et grotesque, allégorique ou métaphorique dans le cas de
Brasserie, inspirée par des guerres civiles de prise de pouvoir post-coloniales. Histoires
de soldats, donc, mais également de passages, de transferts et d’interférences : passages
des colonies ou des post-colonies aux métropoles et inversement, transferts et
circulations, sur le mode de l’imposition dominatrice ou du mimétisme, entre
représentations politiques et culturelles africaines et européennes. De ces confrontations
et de ces brassages, l’écriture interroge les traces et les stigmates ou dénonce, sur un
mode satirique très souligné, les clichés, les absurdités ou les scandales. Dans cette
dramaturgie politique et hybride, la présence de la revue et du music-hall revêt plusieurs
dimensions et plusieurs fonctions. Le cabaret comporte tout d’abord une forme de
théâtralité quasiment pure qui lui confère une sorte de vertu satirique intrinsèque, en

révélant par contamination la facticité des situations et des rôles. Il colporte également
toute une série de représentations codées, qu’il s’agisse de sa charge sexuelle ou de son
jeu sur les clichés politiques, sociaux, culturels et musicaux, qui renvoient les
spectateurs au chatoiement érotisé de stéréotypes collectifs. Mais le motif du music-hall,
s’il imprime sa marque à la dramaturgie du Masque boiteux et de Brasserie, ne déploie
pas réellement dans le corps de l’écriture des deux oeuvres une musicalité propre : il
s’insère, au même titre que d’autres thèmes musicaux, dans une polyphonie décalée qui
reste fondamentalement jazzique, et où la musique classique se voit assigner un rôle
ironique et prédominant. La dramaturgie satirique associée au motif du music-hall
s’articule ainsi à des modèles musicaux principalement convoqués comme des indices
ethno-culturels.

 

 

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