László SUJTÓ

László SUJTÓ, L’imagerie « vérolique » des « Spleen » de Baudelaire > 311


Répandu en France dans les années 1830, le mot «spleen» est riche de significations. Il traduit l’enlisement dans un ennui existentiel, marqué par un sentiment d’écrasement, d’oppression et d’impuissance chroniques sous le règne implacable du souverain Temps; c’est une lassitude due au dépérissement des forces morales et physiques, à «la morne incuriosité», au taedium vitae accompagné d’une angoisse souvent indéfinissable. Mais le mot exprime aussi un malaise métaphysique devant «le Dieu qui se retire»; dans ce sens aussi, il est synonyme de «mélancolie», née «de l’affaiblissement du sacré, de la distance qui croît entre la conscience et le divin». Les poèmes de la série «spleenétique» des Fleurs du Mal tentent d’extérioriser cet état d’esprit, et la réalité ambiante devient alors le lieu d’un exil définitif où le moi reste captif de la matière qui l’entoure, si bien qu’il est menacé de réification. (Dans Spleen LXXVI, Baudelaire choisit des objets pour «répondants allégoriques».) Le désir de «s’élever» ne s’y manifeste pas comme une aspiration à une idéalité même provisoire et périssable: au lieu d’un élan vers un ailleurs, il ne traduit qu’une tentative désespérée de pallier l’oppression du spleen, comme dans la pièce LXXVIII. La mémoire et l’imagination, qui devraient alimenter la poésie de Baudelaire en opérant une communication avec le passé et en transfigurant le réel le trahissent complètement, et «l’ivresse de l’Art» n’est alors point apte «à voiler les terreurs du gouffre». La «polysémie de ce monosyllabe» correspond donc au «pluralisme de ses souffrances physiques et morales». Je me suis proposé de montrer ici comment l’imagerie de ces quatre poèmes si souvent commentés, aussi bien que l’économie de cette séquence du cycle Spleen et Idéal témoignent aussi des angoisses de Baudelaire devant l’aggravation de sa maladie, et devant la perspective terrible d’assister à la dégradation irréversible de ses facultés mentales et physiques. «Il y a des gens qui vivent soixante ans avec le sang infecté. Mais moi, cela me fait peur, ne fût-ce qu’à cause de la mélancolie que cela engendre», écrit-il le 8 mai 1861 à sa mère.


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