Enikő SEPSI

Enikő SEPSI, L’acte et le suspens > 201

 

La locution adverbiale « en suspens » est fort ancienne dans la langue française, elle remonte au XVe siècle pour désigner l’état d’incertitude, d’indécision. Pourtant, le Littré, dictionnaire préféré de Mallarmé, ignore l’emploi substantivé au masculin (le suspens) et les dictionnaires historiques attribuent à Mallarmé l’introduction de ce terme en littérature. Il existait bien « la suspense », cette censure ecclésiastique par laquelle un clerc, un prêtre était privé de son bénéfice et déclaré « suspens ». C’est néanmoins Mallarmé qui donna valeur de concept à ce qui n’était jusqu’alors que qualité.

A ma connaissance, le mot apparaît, pour la première fois, dans « Crayonné au théâtre » où, au sujet du mélodrame, Mallarmé évoque « le perpétuel suspens d’une larme qui ne peut jamais toute se former ni choir (encore le lustre) scintille en mille regards ». Jacques Scherer dans son introduction aux manuscrits du « Livre » a signalé comment le lustre, image préférée de Mallarmé, représente à la fois l’idée qui domine et éclaire la scène, et le théâtre lui-même, propre à en multiplier la manifestation sous plusieurs facettes. C’est le caractère éphémère du théâtre qui permet de percevoir un présent, celui de la re-présentation, un espace-temps à la fois concret (espace théâtral et temps de la représentation) et abstrait (lieu fonctionnel et temporalité imaginaire). Cette temporalité imaginaire est perçue dans le hic et nunc du théâtre comme suspens. Hamlet devient alors le drame par excellence parce que la suspension du temps y est explicite, ainsi que l’impuissance (cette fameuse Impuissance dont Mallarmé se plaint) de franchir le seuil entre virtualité et acte, Hamlet étant « le seigneur latent qui ne peut devenir ». Le Héros semble avoir pouvoir sur les morts, alors que son destin est à l’avance décidé. Comme si un fantôme lui avait dicté sa conduite, « un fantôme qu’il ne cesse de rejoindre au tombeau, pour qui il fait un tombeau ». Une situation dramatique similaire mais cette fois inversée se produit dans Igitur resté à l’état d’ébauches et dans Un Coup de dés qui développe la dernière scène d’Igitur. La question est de savoir si le hasard peut être aboli par un acte bien réfléchi et préparé, et si l’Idée de l’Acte qui n’a pas de lieu réel peut avoir un lieu de parole hors du théâtre éphémère, dans l’intemporalité de l’écriture poétique.

 

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